Fabrice Ney


Fabrice Ney

Interview de Fabrice NEY à l’occasion de la sortie de l'ouvrage ZUP n°1, aux éditions Arnaud BIZALION. Il a bénéficié de l’aide à la création et à l’édition du Département des Bouches-du-Rhône 2019.

 

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Bibliothèque départementale des Bouches-du-Rhône (BD13) : Fabrice Ney, pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?
Fabrice Ney (FN) : Fabrice Ney, Photographe-auteur en recherche, 68 ans.
 

BD13 : Comment votre passion artistique est-elle née ?
FN : Lors d'une visite à Fos-sur-Mer en 1977, mon frère qui est architecte, m'avait prêté son appareil photo. J'étais étudiant en science-économique, et m'intéressais aux sciences sociales. Dès la première prise en main, cet outil a répondu à mes attentes, à la fois comme moyen d'expression et d'observation. Lors de mon DEA en 1979 à l'EHESS, je décidais  d'une approche photographique comparative de trois quartiers de Fos-sur-Mer, afin d'observer les changements sociaux en cours dans cet environnement. Puis mon approche artistique s'est développée et affirmée, accompagnée  par l'obsession des lieux.
Ma mère était peintre (très tôt, elle m'initiait à l'histoire de l'art) et mon père travaillait dans les travaux publics. L'un dans l'autre, cela a orienté très tôt ma sensibilité aux lieux, au territoire, et à leur représentation.


BD13 : Quelles sont vos inspirations, références ?
FN : Au départ, mes sources d'inspirations étaient surtout sociologiques et poétiques: à l'époque la question de la vie quotidienne était très importante. Je n'avais pas vraiment de références artistiques explicites.
J'ai été ensuite très intéressé par les oeuvres d'Eugène Atget et Walker Evans, ainsi que  celle d'August Sanders.
Cependant ma curiosité m'a toujours poussé à m'imprégner d'autres formes d'art : le cinéma , la musique et la création sonore , la peinture et la sculpture, la littérature etc...
Aujourd'hui, je m'intéresse à des courants de pensée qui offrent la possibilité de penser autrement notre relation aux autres, à nous-mêmes et à notre environnement (Bruno Latour, Philippe Descola, Dona Haraway, Vinciane Despret...).
Inspirations, références... plutôt un terreau se formant par dépôts successifs  qui s'enrichissent mutuellement et se condensent dans une image, une série, une page, une installation.


 

BD13  Comment définiriez-vous votre art, Votre style ?
FN : Une attention aux lieux et à leur définition: se rapprocher des choses pour atteindre la part des êtres entre les choses.

 

 

BD13  Si vous étiez une œuvre d'art, vous seriez ?
FN : « Elevage de poussière » - Man Ray et Marcel Duchamp

 

BD13  Si vous étiez un lieu, vous seriez ?
FN : Un site en ruine, encore à explorer.

 


BD13 :  Si vous étiez un livre, vous seriez ?
FN :
Un roman policier de Léo Malet.

 

BD13 :  Qu’est-ce qui a motivé la réalisation de cet ouvrage ? Pourquoi avoir choisi ce thème ?
FN :
Le livre « ZUP n°1 » a été édité à l'occasion de l'exposition à  La Ville Blanche.
Jordi Ballesta a rédigé un texte complétant une analyse de ma démarche qu'il avait entamé dans l'ouvrage  « Photographier de chantier »  (Ed. Hermann, 2019).
Le projet photographique a été réalisé entre 1981 et 1983 et il s'est achevé par une étude systématique des 68 portes des cités concernées.
J'ai rendu compte du vécu des habitants par l'observation photographique des lieux. Ce travail complète ceux sur Fos-sur-Mer (1979) et sur la Seyne-sur-Mer (réalisé durant la même période que ZUP n°1). Ces trois travaux forment une ensemble qui documente les changements sociaux de cette époque de manière décalée sur l'environnement quotidien des habitants. A l'époque, j'avais le sentiment de photographier pour dans vingt ans, j'étais jeune, 28 ans, je me trompais de vingt ans.
Un événement important a motivé le déplacement de mon regard photographique vers cet ensemble de cités en contrebas du centre commercial et du théâtre du Merlan à Marseille : trois mois avant le début de mon enquête, en octobre 1980, Lahouari ben Mohammed était décédé, lors d'un contrôle de police, d'une balle dans la tête. Il avait 17 ans. Récemment, Hassan, le petit frère de Lahouari, m'a contacté pour participer aux événements organisés autour des quarante ans du décès de son frère. Mes images ont été accrochées au milieu de celles des habitants de l'époque. Il s'agit pour moi d'une participation importante qui n'aurait pas eu lieu sans cette publication. J'espère être encore présent parmi eux, dans dix ans, pour les cinquante ans. Si, bien sûr, Hassan et sa famille le veulent.

 

BD13 :  Choisissez une page de votre ouvrage et commentez-là
FN :
P35.
Une petite bouteille en plastique maintient ouverte une porte d'entrée d'immeuble, le P, aujourd'hui détruit.  Scénographie de la vie quotidienne, croisée rapidement lors d'un parcours.
La porte :  un battant, un passage... des croisements, des attentes...
Support de tous les déplacements par lesquels s'organisent la vie comme partout ailleurs : faire les courses, voir les copains, rejoindre un amoureux, sortir le soir, se diriger vers l'école, partir au travail, pointer au chômage... La porte bat au rythme des flux et reflux des besoins, des obligations, des envies. Elle en supporte aussi les impacts.
Au seuil, il y a aussi les points de départ de milliers de récits possibles de rencontres, d'aventures, de rêves, d'espoir, de passions, de peines, de frayeurs...
J'imagine ce seuil rendu plus fluide aux pas des habitants.
Et la porte, ainsi ouverte, est aussi passage pour d'autres – accueil ou intrusion.
Mais il y a d'abord, la personne chargée du ménage. Elle doit fixer ce battant pour lui permettre momentanément d'officier, contre le groom indifférent à sa peine.

 

     Page choisie Fabrice NEY page 35.jpg


BD13 :  Quel message, émotion souhaitez-vous transmettre au travers de vos œuvres ?
FN :
Une image photographique, quelqu'elle soit, est toujours à l'épreuve du temps qui la sépare du moment de sa réalisation. Les images photographiques sont en dépôt dans notre présent, et leur interprétation évolue, se transforme, s'éprouve avec leur présentation dans des contextes différents. Elles enrichissent notre présent et à leur tour s'enrichissent des regards portés sur elles.
Une image photographique peut inspirer beaucoup de récits. Ce qui est transmis avec l'image photographique, c'est la possibilité de raconter toujours quelque chose de nouveau, c'est la richesse des énoncés possibles qui peuvent être émis à son propos.



 

BD13 :  Quels sont vos projets ? Sur quoi travaillez-vous en ce moment ?
FN :
Actuellement, je me consacre d'abord à la relecture de mon fond photographique. La diffusion de ce fond devient aujourd'hui intéressant, du simple fait du temps qui s'est écoulé.
La collaboration avec d'autres moyens d'expression m'a toujours intéressé. J'envisage des collaborations avec d'autres artistes, en particulier une poète. Les poètes peuvent balayer la surface des images d'un souffle et répandre bien au delà du cadre les parcelles d'horizon qu'elles contiennent.
Enfin, me rendant fréquemment en Isère, je parcours la plaine entre Romans et Voiron, berceau de ma famille paternelle. Une méditation sur le temps, et dans la continuité de mes intérêts, réaliser un état des lieux de notre relation à ce qui nous environnent, au seuil des changements qui arrivent.
Mais je continue aussi à appréhender cela, ici, dans le département des Bouches-du-Rhône.

 


 

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